A moi seul bien des personnages de John Irving

A moi seul bien des personnages de John Irving aux éditions Seuil, avril 2013

Le dernier livre de John Irving est à lui tout seul bien des choses. Distractif, drôle, tendre, corrosif, émouvant, inattendu, loufoque, littéraire, fantastique, dense, passionnant, dramatique, joyeux...

Il fait naître son héros Bill comme lui en mars 1942. Celui-ci est dés son enfance attiré par les hommes, les femmes mais aussi les transsexuels comme il le découvrira plus tard.

En grandissant il s'affranchira de la honte et de la haine de soi que génère une sexualité différente dans l'ambiance puritaine de l’Amérique des années 1940.

Ce roman est un plaidoyer pour la tolérance. Il présente également plusieurs récits entremêlés : quête du père, histoires d' amitiés et d'amours, saga familiale ainsi que celle d'individus aux sexualités non conventionnelles. La toile de fond du récit présente leurs luttes qui débutent pendant les années 1960 où ils étaient tenus aux relations secrètes jusqu'à l'époque des premiers ravages du sida sous Reagan puis à celle de l’avènement des premiers mariages gay.

De l'avis des spécialistes, ce roman expose les thèmes chers à l’auteur qui s’entremêlent avec certains événements de sa propre biographie. La lutte par exemple dont John Irving fut un champion apparaît ici et en particulier la prise du duck-under censée protéger le héros des agressions de brutes prenant pour cibles ceux qui leurs paraissent déviants.

La littérature constitue évidemment l'une des clefs de voûte de l'édifice sous forme de multiples références littéraires : Dickens, Flaubert, Proust,...

L' œuvre de Shakespeare jalonne la vie du narrateur et héros Billy . Le titre du roman est d'ailleurs inspiré de deux vers de Richard II :«Je joue donc à moi seul bien des personnages. Dont nul n’est satisfait.»

Bill découvre les planches grâce à son beau père qui monte ses pièces dans le club théâtre de l'école où il enseigne. Le roman s'ouvre sur le récit de Bill qui confesse qu'il doit sa vocation d'écrivain à la lecture de Dickens à 15 ans. Une certaine Miss Frost, athlétique bibliothécaire dont il tombera instantanément amoureux dés qu'il fera sa connaissance, l’initiera aux jeux de l’amour tout en lui donnant les clefs pour construire sa destinée.

Son beau père tiendra lui aussi une place non négligeable dans son éducation intellectuelle, puisque c'est lui qui le premier l'inscrira à la bibliothèque locale tenue par la fameuse bibliothécaire.

Pour ne pas gâcher mon plaisir de lecture j'ai attendu d'avoir achevé le roman pour lire les articles qui lui étaient consacrés. J'ai donc pu apprécier les multiples coups de théâtres que recèle le récit.

C’est aussi ce que je vous conseille.

Voici un bon roman pour ceux qui ne sont ni prudes ni timorés, certaines scènes sont crues car explicites, mais le sujet rend la chose nécessaire.

Pour être honnête il y a parfois quelques longueurs. Les descriptions de mises en scènes des pièces de Shakespeare sont un peu indigestes pour ceux qui comme moi ne sont pas familiers de son œuvre ni de sa galerie de personnages.

Cependant, il coule dans ce roman un tel torrent de vie humaniste que je ne regrette pas d'avoir poursuis ma lecture jusqu'à la fin de ces 470 pages.

Il serait fastidieux de dresser la liste exhaustive de ce qui m’enthousiasme dans ce livre . Je vous impose juste cette petite énumération : la tendresse, l'art de la narration , la liberté de ton, la formidable galerie de personnages . Il me semble que même si le sujet déranger, on peut malgré tout trouver de l’intérêt à cette histoire. Une belle lecture pour un public averti comme nous disons en bibliothèque.

Deux autres listes en résonance avec ce roman.

Celui de Martin Winckler intitulé Chœur de femmes paru chez POL en 2019 et Annabel de Kathleen Winter aux éditions Christian Bourgois, 2013