Dans l'ombre de la lumière de Claude Pujade-Renaud

Dans l'ombre de la lumière, le dernier roman de Claude Pujade-Renaud nous offre un voyage au cinquième siècle de notre ère au cœur de la vie quotidienne d'une femme Elissa revenue vivre à Carthage chez sa sœur et son beau frère qu'elle aide dans leur commerce de poterie. Elle se raconte à la faveur des souvenirs qui affleurent lorsqu'elle écoute les prêches d'un des plus fameux rhéteurs de l'époque, l'évêque d'Hippo Regius, car elle se souvient, douze ans après  sa répudiation, de sa vie auprès de ce même évêque qui deviendra l'un des pères de l'église catholique et que l'on nomme aussi Saint Augustin. Si l'existence de cette concubine est avérée tout comme sa répudiation, on ne sait pas grand chose d'elle et l'auteur comble les manques en respectant la vérité historique. Nous savons qu'elle a eu un fils avec lui qui fut prénommé Adeodatus, ce qui signifie « donné par Dieu » en latin, mais nous ne connaissons pas son nom à elle. L'auteur incarne pourtant son personnage en nous la rendant très proche et attachante, tout en l'inscrivant dans une trame historique rigoureusement authentique. Nous voici donc aux prémices du christianisme témoins d'une époque passionnante où les anciennes croyances et les divinités vont être peu a peu évincés par ce Dieu unique. Les anciens sanctuaires , objets de cultes et statues vont petit à petit être interdits et les païens pourchassés par la police comme Faonia la sœur d'Elissa et son beau-frère. Pourtant à l'époque de multiples cultes se côtoient: catholiques , manichéens, juifs, païens.

Elissa raconte par exemple un cortège bachique qui l'avait particulièrement frappée où on voyait un énorme phallus sur un chariot faisant une entrée triomphale dans la ville.Ainsi « dans son fief d'Hippo Regius, par exemple, Augustinus a pour rival un autre évêque, un manichéen, dont les sermons sont suivis par une partie importante de la population »Il y a aussi les païens récemment convertis car le christianisme est devenu la religion officielle de l'empire romain. L'ambiance est donc parfois houleuse au cours des prêches. Les manichéens qui apparaissent comme des sortes de vagabonds hâves et sales se disent prophètes du Christ alors que les catholiques et les nantis les voient comme des fanatiques illuminés. J'ai découvert cette religion que j'ai trouvée tout à fait passionnante !Selon elle, le monde s'organise selon deux principes fondamentaux : l'ombre et la lumière«  ces élus doivent manger peu, uniquement certains fruits et légumes (apparemment surtout de couleurs vives?) et pratiquer l'abstinence sexuelle, pratique censée contre-carrer la toute-puissance du mal. Beaucoup semblent vivre assez pauvrement, dormant à la belle étoile de l’aumône. ce qui explique leur état pitoyable.Quand enfin on sait qu'ils prônaient une certaine égalité entre les hommes et les femmes, on comprend le mépris donc ils faisaient l'objet. de la part de la religion placée entre des mains puissantes. J'ai d'ailleurs appris que le catharisme semble s’être inspiré du manichéisme mais cela c'est une autre histoire dont il n'est pas question dans ce livre.

Augustinus et Elissa étaient Manichéens. Elissa se souvient de la force de persuasion de celui qui n'était pas encore Saint Augustin : poussant sa compagne et beaucoup de ses proches à se convertir . On le sait il adopta ensuite la religion catholique pour le plus grand bonheur de sa mère Monnica, catholique fervente. Elissa quant à elle reste manichéenne par fidélité à son amour. Nous suivons donc la vie du couple et l'ascension d'Augustinus à travers les souvenirs d'Elissa. qui vient l'écouter à la dérobée alors qu'il est devenu un homme célèbre.Déjà à l'époque à l'instar de se qui se pratique aujourd'hui dans certains milieux il fallait faire un « beau « mariage pour réussir socialement. Elissa étant d'origine modeste, Saint Augustin va donc la répudier pour épouser une fille de famille riche. Les commentaires d'Elissa laissent penser que la mère Augustinus pétrie d'ambition pour son fils a beaucoup contribué à l'évincer. La fille de bonne famille qui lui est destinée n'est alors qu'une petite fille de 10 ans.

Le mariage ne se fera finalement pas mais Elissa restera seule. L'un des intérêts du livre qui en présente énormément c'est qu'il ouvre sur un monde de sensualité que l'on ne s'attendait pas à trouver à propos d'un pareil sujet. D'une lecture très accessible, il ne s'agit nullement d'un pensum érudit et rasoir. Claude Pujade-Renaud en lisant entre les lignes des textes de Saint Augustin peut-être a imaginé un personnage éperdu de sexe et contenant mal ses besoins, d'où l'ironie d'Elissa lorsqu'elle écoute son prêche sur la nécessité de l'abstinence sexuelle! Le personnage d'Elissa est très touchant car elle est écartelée entre son amour toujours vivace pour son Augustinus et sa douleur d'avoir perdu les deux amours de sa vie puisqu'en la répudiant, Augustin est aussi parti avec son fils qui décédera quelques années plus tard. Une concubine comme Elissa n'a on s'en doute aucun droit même si à l'époque pour les romains le concubinage n'est pas une position scandaleuse.Il y a aussi la lumière du bassin méditerranéen, le miroitement de la mer toute proche à Carthage, les odeurs très présentes et pas toujours très fraîches comme celles des corps transpirants rassemblés en train d'écouter les sermons de l’évêque mais aussi les scènes au bain de vapeur par exemple. J'ai beaucoup aimé ce roman qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses et de rencontrer une femme aux émotions intemporelles et universelles.

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Dans l'ombre de la lumière de Claude Pujade-Renaud aux éditions Actes Sud, janvier 2013