A propos de Fahrenheit 2010
Éditeur: Stock,2010
Ce texte est paru en septembre 2010.Il raconte les déboires d'une libraire employée de "Lavraielibrairie " (l'auteur emploie à dessein cette formulation pour que rien ne vienne "museler" son propos) rachetée par "Lachaîne", consortium américain classé au 2ème rang mondial des entreprises dédiées à la vente de céréales. Ayant d'abord tâté de la vente en ligne du livre en y appliquant les méthodes de grainetiers, "Lamultinationale" va s'offrir plusieurs dizaines de librairies indépendantes. Le mastodonte applique sa logique de rentabilité. La libraire souligne que la culture dite de masse, la culture paraît-il pour tous "est surtout une formidable pompe à fric". Avec un humour baigné d'amertume, elle décrit sa propre histoire, sa "descente aux enfers et le naufrage d'une certaine idée de son métier et de l'humain, en totale insurrection contre les méthodes liberticides de Lachaîne où sévit "blondinet", le nouveau président "qui lui se fiche éperdument des livres". Son travail adoré, avant le rachat devient une torture. Les jours passent et le quotidien de lavraielibraire devient sinistre et accumule les stigmates tels que "licenciements, plan social, librairies défigurées, stocks au point mort, fonds réduits à une peau de chagrin, assortiments imposés, équipes dégoûtées, clients méprisés" assistant impuissante au massacre du travail accompli par son équipe depuis des années. Cette histoire à valeur d'exemple car elle dénonce l'esprit d'une époque qui se répand malheureusement partout en banalisant le propos apparemment anodin: "il faut savoir s'imposer".S'imposer sous-entend ici, écraser ou mourir, tel est l'alternative proposée insidieusement. L'homme "dans l'air du temps, en adéquation parfaite avec les plus hautes sphères du pouvoir... écrit- Éradiquons les faibles-et se fait le chantre de la loi du plus fort-".
Ce livre parle aussi de la passion pour le métier de libraire, de sa générosité et de son utilité dans la construction d'un individu, d'une société lorsqu'il celui-ci est pratiqué par des êtres humains et non par des machines à fric ou à débiter de fausses vérités, pour intégrer les esprits lobotomisés par la peur du chômage ou le matraquage mediaticofacile. Ce texte, beaucoup de bibliothécaires pourraient sans doute le reprendre à leur compte si du moins on considère ce métier hors ces missions administratives.
"Conseiller un livre est chaque fois une nouvelle histoire,celle des premières pages que l'on décide ou non de dévoiler,celle d'une pudeur, à partager avec un autre que soi, d'autres vies qui sont un peu, beaucoup les nôtres. Raconter un livre, c'est se raconter. Et quand le client revient et revient encore, c'est notre tour d'aller en lui à notre guise.On découvre des chaînes de chagrins, des espoirs insensés, on se met à guetter les endeuillés, les trop seuls.Que sait-il de tout cela, blondinet, avec ses tableaux de bord, ses reportings...Que sait-il de ce gamin bouleversé par Silbermann? Que sait-il de cette jeune fille poussée à L'ombre du vent? Que sait-il de la ravissante demoiselle toute à sa fréquentation de Michel Déon? Oui,que sait-il, blondinet, de ce vieux monsieur, orphelin de son fils et grand amateur de littérature de terroir?"
Un livre à lire si on a envie de se poser deux ou trois questions sur notre monde où le "diviser pour régner" est plus que jamais d'actualité, poussant à l'individualisme, au replis sur soi à la peur de l'autre. Cet autre-ennemi qui va vous prendre votre travail, votre femme ou votre pain ou que sais-je encore. Et où on nivelle par le bas en moquant la culture et faisant disparaître les livres ( d'où le titre faisant référence à une autre sombre période de l'histoire où on faisait disparaître les livres en les brûlant) et où on érige le mépris de ceux qui prétendent aussi trouver dans leur travail une passion, un sens, une valeur morale. A ce titre, comment ne pas faire un parallèle avec les chiffres du rapport Cyrulnik (lien sur France 3) tombés dans la presse cette semaine sur le suicide des jeunes de moins de 25 ans. Oui comment ne pas faire un parallèle en effet et se poser quelques questions sur les raisons pour lesquelles le suicide est la deuxième cause de mortalité en France chez les jeunes de 25 ans. Le chômage n'explique sans doute qu'en partie ce sentiment généralité que pour "parvenir" aujourd'hui, il faut avancer dans la société et dans le monde un couteau entre les dents...savoir s'imposer, vaincre ou mourir? Au fond c'est aussi un choix de vie, un choix de tous les instants qui transforme peu à peu les choses. Le choix de voir ou non, le choix d'essayer de réfléchir et de penser par soi même, de lire plus pour penser plus par exemple au lieu de rester uniquement des consommateurs supposés avides de gagner plus pour consommer plus. De cette lente démission à laquelle nous pousse parfois le rouleau compresseur du profit et de la bêtise organisée, le livre parle parfaitement en utilisant la métaphore de la grenouille plongée dans l'eau tiède." L'eau tiédit, à peine d'abord,tout doucement.Si lentement qu'elle ne se rend compte de rien. Seulement, la grenouille brûle et elle meurt. Plongée dans l'eau bouillante, la grenouille aurait sauté, se serait échappée.Elle vivrait encore et peut-être, se serait échappée.Elle vivrait encore et peut-être leur dirait-elle, aux autres grenouilles, de se méfier de l'immersion en eau tiède."Un livre salutaire donc à lire et à faire lire.
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